Circonstances vues de l’intérieur


Voici le mail que j’ai reçu le 10 Novembre de Philippe Manon, moniteur qui accompagnait Xavier sur le Taurion.


Philippe explique tout : les circonstances, pourquoi il a mis du temps avant d’écrire ce mail, ses réactions, tout ! Avec courage, précisions et émotion.

« Bonjour Raphaël,
Tout d’abord je me présente….

Philip MANON, Moniteur du DEVPA (Descente en eau vive de Paris) depuis 1993 et adhérent à ce club depuis 1988.

Comme tu l’auras certainement compris, je suis le moniteur de Xavier qui nous a quitté en cet après-midi du 14 octobre dernier, et je vais essayer d’apporter mon témoignage sur ce drame.

Olivier, le frère de Xavier m’a communiqué ton émail et m’a gentiment demandé de communiquer avec vous afin de ne jamais oublier ce drame et que cette malheureuse expérience puisse éventuellement servir aux autres.

Je souhaite avant toute chose, m’excuser de mon silence depuis bientôt un mois et je souhaite que tu remercies pour nous (tous les adhérents du DEVPA) tes amis [Ivan et Christophe], qui nous ont fortement aidé dans cette tentative de sauvetage et sans qui le déroulement aurait sûrement été beaucoup plus long.

Le plus dur pour moi en ce moment est d’être objectif sur ce qu’il s’est passé, car je suis profondément affecté par cet accident en tant que témoin n° 2 et plus particulièrement à cause de l’amitié qui me liait à Xavier.

Je pense que personne ne peut être préparé psychologiquement à ce genre de circonstance, particulièrement lorsque la mort devient inéluctable et encore plus quand l’affectif prend le dessus.

Tout ça pour dire que je suis actuellement dans un état lamentable et que je n’arrive pas à analyser les faits, il me manque environ 30 secondes à 1 minute du déroulement de ce mauvais scénario et j’ai bien du mal à retracer la réalité malgré le témoignage de Sébastien mon neveux et témoin n° 1.

Je vais donc essayer de transposer sur le papier, ou plutôt sur mon écran, le déroulement de ce week-end que j’aurais souhaité ne jamais vivre.

– Pour Xavier lui même, départ des environs de Thionville vers 22h00, le vendredi soir.
– Arrivée sur Paris chez son frère Philippe entre 1h et 1h30, afin de le récupérer pour venir chez moi dans l’Essonne.
– Arrivée à la maison vers 3H00, environ 4H30 de sommeil, réveil, chargement du véhicule, départ pour Royère vers 8H, 8H30.
– Arrivée sur le Taurion aux alentours de midi, rendez-vous sur le parking de l’arrivée avec les autres participants du club qui viennent d’autres destinations.
– Reconnaissance pédestre du site, et plus particulièrement de la partie basse.
– Déjeuner vers 14H et préparatif de la descente….

Sur sept nageurs participants, 4 d’entres nous connaissent ce torrent pour l’avoir descendu 5 ou 6 fois la saison précédente dont 2 moniteurs, Julie et moi.

Description des participants :
– Julie, 18 ans nageuse hors pair, moniteur depuis le 24 juin dernier, major de sa promotion. 3 ans de pratique, belle carrière en perspective.
– Sébastien, mon neveu, 18 ans, nageur en bonne progression. 5 ans de pratique.
– Philippe L, le frère de Xavier 37 ans, baptême de nage il y a 7ans en même temps que ses frères, Olivier et Xavier, adhérent au club depuis 4 ans en bonne progression lui aussi, doit juste maîtriser d’avantage ses émotions quant à la difficulté, somme toute un bon nageur dans l’ensemble.
– Bruno, 30 ans, excellent nageur depuis 4 ans, sportif et physique …élément sur qui l’on peut compter dans toutes circonstances.
– Xavier …. 36 ans, 7 ans de pratique, très bon nageur. Après un conditionnement psychologique et physique, un travail assidu dans tout type de torrent, est devenu un bon nageur qui connaissait bien ses propres limites………………………..
– Philippe J, 37 ans, 13 ans de pratique, nageurs de toutes les circonstances et de tous les torrents, pas moniteur par manque de temps et ou de motivation, en tout état de cause élément moteur et incontournable du groupe.
– Philip M ( moi ) 38 ans, 12 ans de pratique, moniteur FFCK depuis 1993, recyclé le 24 juin dernier, ancien sapeur pompier professionnel, mes formateurs ont été : Pierre SIMON, Hervé DANTEL, Edtih, Philippe et Stéphane CHENAL, sans oublier le regretté Jean Marc VALLS.

Organisation de la descente :
– Moniteur ouvreur Julie, consigne : arrêt fréquent descente en saut de puce, respect des écarts entre nageurs, on suit son ouvreur et on ne laisse pas traîner les palmes dans le fond.
– Nageur 2 Philippe L
– Nageur 3 Bruno pour aider Philippe en cas de difficulté
– Nageur 4 Sébastien
– et l’appui de Xavier en 5ème position pour palier à toute éventualité
– serre file moi
– et Philippe J devant derrière partout à la fois afin de faire le relais entre l’avant et l’arrière.

Mise à l’eau environ 15H40, début de la descente sans embûche et les premiers rapides s’enchaîne sans aucun problème si ce n’est que le groupe est un peu trop serré.

Arrêt avant le pas du loup afin d’apprécier la meilleur trajectoire après le passage d’un kayakiste, rappel des consignes et on repart.

Premier rapide avec enchaînement sur le second……

Lorsque je me présente avant le siphon, je vois Sébastien de dos, visiblement en difficulté derrière le pleureur, et Philippe J en train de s’arrêter dans le contre à droite derrière le siphon.

Je décide donc de passer tout à droite en passant sur le pleureur afin d’aider Sébastien, en évitant ainsi de me faire emmener dans la veine d’eau à gauche et de risquer de louper mon arrêt….

Lorsque je m’immobilise dans le contre, je ne sais toujours pas qu’un nageur est coincé en totale immersion, je m’approche de Seb en pensant qu’il tire sur son flotteur coincé sous l’eau et à ma grande stupeur, devant son visage décomposé, je comprends que la situation est grave.

Je jette mon flotteur sur la berge et prend la place de Sébastien qui continue de tirer sur le gilet du nageur immergé sans que je sache toujours de qui il s’agit.

Philippe J surgit de derrière ce gros rocher et vient immédiatement nous aider à tirer, nous avons beau tirer, tirer et tirer encore, rien n’y fait !

Ce nageur est complètement coincé en totale immersion, j’essaye également de tirer au niveau des cuisses et du bassin en m’immergeant moi-même sans plus de résultat !

Naturellement, je m’essouffle vite, je glisse, tombe en arrière, mes gestes sont imprécis et la panique cède à la lucidité lorsque je m’aperçois qu’il s’agit d’un nageur de mon groupe, la couleur de la combi et du gilet ne me trompe pas, j’essaye également de pousser dans son dos afin de sortir sa tête de l’eau, je n’y parviendrai que quelques secondes.

Rapidement, deux nageurs nous viennent en aide et prennent la direction des opérations. L’un deux réussit à passer une corde dans son gilet. L’aide étant de plus en plus importante, nous envoyons Philippe J prévenir les secours de la Croix-Rouge plus bas.

Il récupère Julie et descendent tous deux en trombes jusqu’aux secouristes….

Pendant ce temps, le sauvetage continue. Après avoir essayé de tirer à trois ou quatre sur la corde sur les cotés, devant, derrière, la décision de tirer vers l’aval en enroulant la corde autour d’un arbre afin de créer un renvoi est adoptée, malheureusement la corde casse, nous sommes plus de dix à tirer dessus.

Je jette ma corde qui est restée dans le sac dorsal de mon gilet aux deux nageurs qui sont les plus près de Xavier, et l’on recommence à tirer, cette fois nous le dégageons et parvenons à le hisser sur le pleureur, l’immersion totale aura duré à mon avis entre dix et vingt minutes……

Déjà, les deux autres sauveteurs commencent le massage, lorsque je me rapproche d’eux, j’ai à ce moment la confirmation qu’il s’agit de Xavier ! En fait, je pensais que c’était Philippe L, quand bien même, l’un ou l’autre, le résultat est le même.

Mes instincts d’ancien pompier reviennent au triple galop, bilan rapide, pupille, couleur de la peau gris foncé, pas de respiration, encore moins de pouls….. je lui enlève rapidement son gilet et le haut de sa combi afin d’être plus précis dans les gestes de réanimation, la suite vous la connaissez……………………

Pour ma part, je pense qu’il n’y a que deux hypothèses vraisemblables :

Sébastien a dû manquer de vitesse ou a été gêné par un autre nageur, lui-même ne sait pas très bien, il pensait même que le flotteur de Xavier était dans le fond du siphon, alors qu’il était sur la berge ?????

Je pense donc que Xavier est arrivé très vite sur Seb, déjà coincé, en le tapant avec le nez de son flotteur, méthode qui a déjà fait ses preuves. L’inconvénient, c’est l’arrêt immédiat du nageur, qui a pour effet de faire passer instantanément les jambes sous le flotteur de par l’articulation du bassin.

De fait, Xavier se retrouve les jambes en avant, aspiré par le siphon, c’est qu’il y a deux possibilités.
– La première et celle retenue par la gendarmerie, Xavier pense que son flotteur va le gêner et spontanément le jette sur la berge, il arrive vite et n’a le temps de prendre une bonne respiration, voir il tasse instantanément en prenant sa respiration et s’enfonce sous l’eau.
– La deuxième, même début sauf qu’il heurte violemment le rocher en face et s’assomme, même finalité il s’enfonce et tasse … Son casque présente toutefois des marques que je ne connaissais pas.

Ce dont je suis certain, c’est qu’il ne luttait déjà plus lorsque je suis arrivé sur lui, c’est à dire moins de une minute après le choc avec Sébastien.

On peux également penser à une rupture de l’anévrisme lié à une émotion, voire une peur très intense, discours médicale qui peut arriver.

Voilà, la réalité !

De ce qui s’est passé, nous ne la saurons jamais et il nous reste à vivre avec ces images qui défilent devant nos yeux, particulièrement pour tous les témoins de ce drame et je pense à tous ceux qui nous ont aidé et vécu ce cauchemar en direct live……..

Je vais arrêter pour ce soir, car un petit garçon de 12 ans, Romain mon fils, doit commencer à s’impatienter de ne pas voir arriver son papa.

Tous ceux qui auront envie de m’écrire peuvent le faire sur mon email : cpms.ouest@wordnet.fr en précisant comme objet ( perso Philip ), j’autorise également la diffusion de mes propos sur ton site et celui de tes amis.

Je reprendrai la communication plus tard car bien évidement j’ai des conclusions personnelles sur le devenir du DEVPA.

Sincères amitiés et sportives, salutations à tous les passionnés de NEV.

Philip. »